"On ne doit pas baisser la rémunération du travail !"
Invité ce midi de l'émission "Dimanche en politique" sur France 3, François Bayrou a affirmé qu'en France le travail était "mal rémunéré" et plaidé pour que les heures supplémentaires "soient payées avec une prime substantielle, de 25% par exemple".
France 3 - J’accueille aujourd’hui le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou. Peut-on imaginer l’élection présidentielle sans vous ? Pour l’instant en tout cas, vous soutenez Alain Juppé mais rien ne dit que c’est lui qui gagnera la primaire. Dans ce cas, vous auriez un boulevard devant vous. Les sondages de popularité vous classent parmi les personnalités préférées des Français, peut-être que vous voudrez faire quelque chose de ce socle ! Je voudrais que nous parlions de Jacques Chirac. Nous avons appris dans la matinée qu’il avait été hospitalisé pour infection pulmonaire. Vous avez été son ministre, vous avez été son concurrent aussi. Avez-vous eu des nouvelles de sa santé récemment ?
François Bayrou - J’ai eu des nouvelles comme tout le monde, par ceux qui l’ont rencontré et qui ont en effet exprimé de l’inquiétude sur son état. C’est un moment très émouvant que cet homme qui a connu les plus hautes responsabilités soit dans le dénuement de la maladie et de la vieillesse. Je pense aux siens, à sa fille Claude. C’est un signe qu’il faut que nous leur transmettions.
Parmi les thèmes qui vont s’imposer pendant la campagne présidentielle, il va bien sûr y avoir l’emploi. L’inversion de la courbe du chômage souhaitée par François Hollande ne s’est pas réalisée, le prochain Président de la République héritera du dossier. Les gens vont sur leboncoin.fr pour trouver un emploi, plutôt qu’à Pôle emploi qui a été réformé par Nicolas Sarkozy. Cela signe-t-il l’échec de Pôle emploi ?
C’est un travail extrêmement difficile. Mais il est vrai que l’on ne peut pas s’empêcher de comparer la situation française à la situation de pays qui nous entourent et qui sont au plein emploi. De ce point de vue, il y a évidemment des changements très importants à apporter, avec deux réserves que je veux exprimer d’entrée. La première est que les contrats de travail qui sont signés... sont signés ! Je pense qu’une partie des difficultés que le gouvernement a rencontrées avec la question du contrat de travail est qu’il a voulu remettre en cause les contrats de travail déjà signés.
Vous parlez de la loi El Khomri.
La loi précédente et celle-là. Le deuxième point - raison pour laquelle j’ai exprimé de grandes réserves sur la loi - est que l’on ne doit pas baisser la rémunération du travail ! Le problème en France est évidemment - un - que les emplois ne sont pas créés en nombre suffisant mais - deux - que le travail est mal payé ! De ce point de vue, le signal qui a été apporté par la loi de baisser la rémunération des heures supplémentaires ou de baisser - pour la loi précédente - la rémunération du travail du dimanche sont de mauvais signaux. On pouvait tout à fait poser la question du coût du travail - ce que cela coûte à l’entreprise - sans remettre en cause ce que cela rapporte aux salariés.
Si vous étiez élu à l’Élysée, supprimeriez-vous la loi El Khomri ?
On ne peut pas dire les choses comme cela, parce qu’il y a beaucoup de dispositions... Un seul article fait plusieurs dizaines de pages ! Je regarderais décision par décision, mesure par mesure et je demanderais que l’on remette en cause la rémunération des heures supplémentaires. Il n’y a aucune raison, quand les gens travaillent davantage, pour que l’on vienne couper les revenus qu’ils ont le droit d’attendre du travail. C’est une réflexion générale sur la question des fins de mois. Que cela rapporte-t-il ? Aujourd’hui, la campagne se focalise autour des questions d’identité, or la question du revenu du travail - ce que cela rapporte à la fin du mois - est pour moi une question de la vie de tous les jours, centrale !
Il y a aussi la question des 35 heures. Tous les candidats de la primaire à droite disent qu’il faut les abolir. Est-ce une position que vous défendez également ?
Je ne la défends pas sous cette forme. Je pense qu’il est légitime que l’on envisage de travailler plus à condition que les heures travaillées en plus soient payées en heures supplémentaires. Or, si on dit que l’on supprime les 35 heures, on supprime le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ! Donc on peut garder les 35 heures en référence, à condition de faire que les heures travaillées en plus soient payées en heures supplémentaires avec une prime substantielle, de 25 % par exemple ! Parce que dans ce cas, vous êtes dans la justice !
C’est « travailler plus pour gagner plus ».
Écoutez, ce n’est pas la plus mauvaise formule que Nicolas Sarkozy avait trouvée ! Ce n’est en tout cas pas sur ce plan que nous nous sommes affrontés, mais sur bien d’autres sujets.
Notamment les déficits publics ! Votre credo depuis toujours est qu’il faut réduire les déficits publics. Alors, là aussi, tous les candidats de la droite disent « tant pis pour les 3 %, il faut baisser les charges, baisser les impôts et réinvestir ». Font-ils tous une erreur ?
En tout cas, je ne crois pas du tout que l’on puisse être désinvolte à l’égard des déficits et de la dette. L’idée dans laquelle on s’enferme, qui est qu'après tout, on va envoyer valser les 3 % par-dessus les moulins, ne me parait pas crédible. Comment voulez-vous que les autres pays européens, qui ont fait des efforts considérables, acceptent cela ? En revanche, s’il faut trouver une solution de relance - pour éviter les inconvénients que l’on voit venir comme le mur face à la voiture -, elle ne peut être qu’européenne. Et c’est notamment la responsabilité de la Banque centrale européenne que de se préoccuper de la relance nécessaire de l’économie française. Elle le fait en partie : Monsieur Draghi vient de faire des interventions qui vont tout à fait dans ce sens. Je note au passage que c’est quand même un dirigeant conscient des problèmes qui se posent. La responsabilité de la BCE devrait pour moi être enrichie par une référence à l’obligation de chercher le plein emploi. C’est le cas de la Banque centrale américaine ! Nous devrions nous focaliser, nous devrions concentrer nos efforts sur ce point. Les dirigeants européens franchement aujourd’hui n’apparaissent pas à la hauteur. Il y a eu un sommet à Bratislava hier, on n’en parle pas parce qu’ils n’ont rien dit ! Matteo Renzi a eu le courage de dire qu’il n’y avait rien pour la crise, rien pour les difficultés traversées et il a refusé de participer à la conférence de presse. On a besoin de dirigeants européens qui obligent à poser les problèmes qui se posent au peuple !
Une toute autre question : Alain Vidalies, le secrétaire d’État aux transports, annonce ce matin une augmentation des tarifs des autoroutes de 0,3 à 0,4 % entre 2018 et 2020 pour améliorer le réseau autoroutier. Vous étiez déjà très critique sur la privatisation des autoroutes, est-ce la goutte d’eau ?
Toute cette opération de privatisation comme elle est menée depuis le début est un scandale démocratique. On a privatisé en créant des sources de bénéfices considérables pour les entreprises privées qui ont repris les autoroutes et on ne cesse d’allonger la durée de ces concessions en prétendant que cela va arranger les choses.
Faut-il re-nationaliser les sociétés d’autoroutes ?
C’est impossible ! Les contrats sont tellement ficelés que l’on y arrivera pas. Premièrement, il faut demander des comptes aux gens qui ont fait cela et deuxièmement, nous devons avoir en tête qu’il faut rendre public les conditions de cette affaire ! Il y a un citoyen, lanceur d’alerte comme on dit, qui a demandé le document du contrat : on a refusé de lui donner. Or, les tribunaux lui donnent raison. Le ministère de l’économie refuse de mettre à disposition des citoyens le contrat qui a été signé avec les sociétés d’autoroutes.
Il faut donc de la transparence.
C’est plus que cela. Il faut séparer le pouvoir politique des intérêts économiques.
Qui visez-vous ?
Personne ou plutôt je vise tout le monde puisque ce sont des gouvernements successifs qui ont agi. La trop grande proximité entre les intérêts privés et l’État sont un affaiblissement pour le pays comme le montre la décision désastreuse prise sur les autoroutes. On va encore augmenter les tarifs !
La France a-t-elle un train de retard en matière de politique industrielle ? Est-ce que pour Alstom, le gouvernement aurait pu réagir plus tôt ?
En tout cas, le gouvernement a menti aux gens, aux salariés d’Alstom. Il a dit que l’on ne fermerait jamais, que les emplois ne seraient pas mis en cause, etc. Pour moi en tout cas, les décisions qui ont été prises sous cette espèce de pression des marchés depuis des années font que la France a été dépouillée de ses outils industriels les plus importants. Si vous prenez secteur après secteur, alors vous voyez que tout d’un coup ces logiques qui interviennent privent la France de sa capacité à agir, à avoir une industrie, à avoir des centres de décisions chez nous. C’est la même logique qui depuis des années est au travail ! Chaque fois, c’est le même scénario, on nous dit "Ne vous inquiétez pas, il ne passera rien" !
Doit-on obliger les régions à acheter les TER chez Alstom ? Ou faut-il nationaliser Alstom ?
D’abord, il aurait fallu faire un géant européen au lieu de donner aux Américains cette prééminence. Aujourd’hui, si on peut pousser et inciter les régions à acheter les trains Alstom fabriqués en France, je n’y verrais que des avantages. Je suis favorable à l’idée que l’on favorise le tissu économique et industriel local au lieu de se trouver dans une situation où nous nous appauvrissons constamment.
François Bayrou, êtes-vous l’héritier de Jean Lecanuet ou de Valéry Giscard d’Estaing ?
Ma famille politique est le centre, d’inspiration spiritualiste et de la laïcité comme Jean Lecanuet le disait. D’autres disent "démocrate-chrétien" mais cela ne s’arrête pas au christianisme. Des deux familles.
J’ai noté que Jean Lecanuet vous va bien.
J’ai été son ami et son proche. J’ai été le secrétaire général de Valéry Giscard d’Estaing pendant 5 ans et j’en ai été très heureux. Honnêtement, si on devait faire le classement général des responsables politiques sur les 25-30 dernières années, VGE était le plus capable, intelligent. Il voyait les choses et avait une prestance intellectuelle incroyable.
Parlons d’aujourd’hui. Vous ne cessez de répéter que vous ne vous êtes jamais senti aussi bien, aussi en phase avec vous-même, aussi libre : est-ce parce que cette fois-ci, vous avez décidé de passer votre tour pour l’élection présidentielle ?
Je me sens très bien car c’est assez rare en politique que l’on puisse faire preuve d’abnégation. Cela ne se produit jamais qu’un responsable politique ayant un socle de soutiens, d’intentions de vote et de popularité, dise « je suis prêt à soutenir quelqu’un d’autre ».
Vous soutenez Alain Juppé par abnégation.
Je soutiens Alain Juppé car je pense qu’il est le mieux placé des responsables politiques qui puisse être élu avec les deux points nécessaires du programme auquel je crois : rassembler les Français au lieu de les diviser – leur parler comme voulant en faire une unité pendant que d’autres veulent les faire exploser – et deuxièmement porter un certain nombre de réformes, résoudre des questions lancinantes qui se posent au pays depuis longtemps.
L’appellation officielle des primaires est « la primaire de la droite et du centre ». On voit bien la droite mais où est le centre ?
Cette appellation est celle donnée par LR à cette compétition qui est interne. Cela dit, si des militants ou des sympathisants du centre veulent se servir de cette élection pour favoriser le choix de quelqu’un qui peut faire l’entente, l’union, entre une partie de la droite et du centre, je trouve que cela en vaut la peine.
Vous appelez donc les militants et sympathisants du MoDem à aller voter pour Alain Juppé.
Oui, tous ceux qui le veulent, je les y encourage.
Mais vous-même, à titre personnel, avez dit que vous n’iriez pas voter à la primaire.
Oui, je le dis depuis le début pour une raison extrêmement simple : si un responsable politique participe à une compétition de cet ordre, forcément l’engagement implicite serait d’en accepter le résultat. Or, depuis le début, je dis qu’il y a un résultat qui peut réunir et un résultat qui diviserait. Je n’accepterai pas le résultat qui divise.
Alors justement, en parlant de Nicolas Sarkozy, vous avez largement contribué à sa défaite en 2012 parce que vous aviez appelé à voter pour François Hollande. Nombre de militants de droite et du parti LR s’en souviennent plutôt amèrement. Êtes-vous certain que le soutien avec abnégation que vous apportez à Alain Juppé est réellement une aide pour lui auprès de cet électorat de droite ?
Si je n’exprimais pas ce soutien, qui l’exprimerait ? La structure d’opinion qui peut faire qu’Alain Juppé emporte la victoire – on la connaît bien, tous les sondages la donnent – c’est le centre au sens large du terme - centre-droit, centre, centre-gauche - qui lui apporte à 70 % son soutien. Et je suis devant cet électorat, je crois, garant de l’authenticité du soutien et de l’authenticité de l’indépendance que nous garderons.
Ne va-t-il pas y avoir un embouteillage sur ce créneau prochainement – centre, centre-droit, centre-gauche – avec l’apparition d’un nouveau rival, Emmanuel Macron, dont vous tapez allègrement dessus ?
Je ne tape pas, j’indique les choses.
Quel est son poids aujourd’hui selon vous ?
Je ne crois pas que ce soit un poids déterminant et qui durera. Je ne vois pas son projet, ou ce que je vois de son projet est extrêmement clair : il a été l’inspirateur et le décideur de la politique économique suivie par François Hollande ces deux dernières années. Cette politique économique est une catastrophe et elle est marquée en particulier par ce que j’ai dénoncé depuis le début de l’émission : on a essayé de réduire le salaire réel dans le monde du travail.
Est-ce signé Emmanuel Macron ?
Il n’est pas tout seul évidemment, le Président de la République a dû dire "oui" mais c’est lui l’inspirateur le plus important puisque c’est lui qui était aux commandes.
Dans les sondages, Emmanuel Macron est très haut dans les intentions de vote : il est devant François Hollande et même devant vous.
Si vous n’avez jamais rencontré des sondages, qui à un moment donné, donnent des résultats qui ne sont pas les bons au bout du compte, c’est que vous manquez d’expérience.
Les sondages classent en tête quasi systématiquement Marine Le Pen au premier tour, écartez-vous la possibilité que Marine Le Pen puisse l’emporter au second tour de l'élection présidentielle ?
Je n’écarte jamais aucune possibilité, je me bats contre. L’enjeu le plus important de cette élection est que les Français trouvent un espoir de politique différente parmi les candidats. Or, on nous menace d’avoir les deux mêmes candidats qui ont exercé le pouvoir ces 10 dernières années, cela fait le jeu de Marine Le Pen. Si vous n’avez pas une autre proposition politique, alors les Français désespérés par cette réédition attristante peuvent se donner à n’importe quel choix. Je garantis qu’il faille proposer une autre vision. Alain Juppé peut faire naître une proposition politique plus rassembleuse, profitons-en ! C’est pourquoi je lui apporte mon soutien amical.
Le démantèlement de Calais - 12 000 migrants à reloger, 9000 nouvelles places à trouver -, y avait-il une autre solution ?
Oui ! Le gouvernement use d’une pratique classique et lâche de l’État en France : il décide tout seul et impose aux collectivités locales l’obligation de faire contre leur gré ce qu’il décide. Je pense que c’est la plus mauvaise solution.
Quelle est la solution ?
Il fallait ouvrir un dialogue avec les collectivités locales, leur dire : « il y un certain nombre de personnes à qui l’on doit proposer autre chose que la solution indigne et épouvantable qu’il y a à Calais ». Prenons les chiffres, 12 000 personnes, c’est à dire 120 personnes par département français, ne croyez-vous pas que si l’on ouvre le dialogue avec les maires et présidents d’intercommunalité, ils peuvent trouver de meilleures solutions ?
Êtes-vous pour que l’on ouvre un centre de migrants à Pau ?
Je ne suis pas pour des centres où l’on concentre cette misère, je suis au contraire pour que l’on trouve des localisations plus petites décidées avec les élus locaux. Il faut laisser aux élus locaux la possibilité d’empêcher des concentrations qui ne seraient pas viables. Plus vous concentrez la misère, plus vous avez des accidents. Le rôle que l’on devrait souhaiter pour les élus locaux dans ce drame est un rôle facile, possible et que le gouvernement s’évertue à éviter. Cette idée de concentrations réparties sur le territoire est une très mauvaise idée. Je plaide pour qu’avec les collectivités locales, il y ait un dialogue de gens responsables. Il faut insérer ces migrants dans la population.