"L'Europe n’est pas seulement nécessaire, elle est vitale"

Invité de l'émission "BFM politique" ce dimanche 3 juillet, le président du MoDem a soumis plusieurs propositions pour "changer l'Europe dont les institutions sont faites uniquement pour les initiés" tout en soulignant que l'Europe était la "seule voie possible permettant d'affronter les grands défis du monde".

Bonsoir François Bayrou, vous êtes maire de Pau et président du MoDem et, je le disais, vous êtes un des derniers vrais européens convaincus en France. On a eu le sentiment en France, cette semaine, qu’il y en a beaucoup qui soudain se sont réveillés en se disant que l’Europe n’était pas si géniale après ce référendum anglais. C’est une sorte de prise de conscience en France. On va parler avec vous de vos projets pour l’Europe puisque vous estimez que l’Europe doit continuer et qu’elle doit se relancer. Avant d’évoquer les conséquences de ce Brexit pour l’Europe, j’aimerais que l’on évoque Michel Rocard disparu hier. Avez-vous le sentiment de lui devoir aujourd’hui beaucoup ? Faites-vous partie de ceux qui se revendiquent d’avoir été éveillés à la politique et d’avoir aimé la politique avec Michel Rocard ?

Non, mais j’ai beaucoup aimé partager des moments avec lui, des moments de discussion, des signes que nous avions décidés de faire ensemble à l’endroit de l’opinion publique, vers les citoyens, pour leur dire que l’on pouvait travailler ensemble sans avoir la même étiquette. Vous savez que Michel Rocard a été Premier Ministre et pendant toute cette période les textes les plus importants et les plus difficiles sont passés grâce au soutien du groupe centriste autonome de l’époque auquel j’appartenais.

On ne le voit plus du tout aujourd’hui. Est-ce que ça manque ce que faisait Michel Rocard, cette sorte de main tendue au-delà de sa propre famille politique ?

Ceux qui ont vécu cette époque savent que ça a été une épreuve pour lui aussi parce que François Mitterrand faisait tout pour lui mettre des bâtons dans les roues dans cet effort de reconstruction. Pour moi Michel Rocard c’est deux choses. La première, c’est une part d’idéal aux prises avec le réel, jamais l’idéal qui était le sien n’a été mis de côté. Il a toujours pensé que l’on pouvait avoir un idéal et le faire entrer dans la réalité. J’ai toujours pensé que là était la véritable ligne et que notre effort à tous devrait aller dans ce sens-là. La deuxième chose, c’est plus intuitif et personnel, il y avait chez lui, une part de jeunesse et de juvénilité par le côté un peu provocateur qu’il aimait un peu avoir quelques fois. Il n’aimait pas être là où on l’attendait. Il aimait surprendre, y compris ses propres amis, et en même temps il avait le cuir dur, tanné. Je trouve que cet ensemble-là de jeunesse et de cuir épais lui donnait quelque chose de très précieux. A mes yeux il était précieux.

Avez-vous le sentiment qu’aujourd’hui quelqu’un comme Michel Rocard manque ? A-t-on perdu cette capacité à y croire, à avoir une sorte d’espérance en la politique ?

On n’a rien perdu. Moi, je n’ai rien perdu de cette exigence-là.

Vous sentez-vous dans la même lignée, dans le même esprit ?

Dans le même esprit, oui. Pas du tout dans l’héritage, tout cela est ridicule mais dans le même esprit c’est certain, l’esprit de ceux qui refusent d’abandonner les choses les plus précieuses auxquelles ils croient simplement parce que les réalités de sondages ou l’intérêt électoral ou les règles des institutions les en empêchent. Il faut comprendre que l’on a entre les mains, quand on est un militant civique - la plus haute idée que l’on puisse se faire de la politique est la citoyenneté - la responsabilité de l’évolution du monde, on ne doit jamais renoncer à changer le monde, il me semble que c’est la preuve la plus évidente d’un engagement civique réel.

Alors justement ne pas renoncer à changer le monde mais ne pas renoncer à changer l’Europe, d’ailleurs Michel Rocard a parlé du référendum au Royaume-Uni dans cette dernière interview accordée au Point. Finalement, il a dit qu’il était favorable à la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe, non pas parce qu’il est moins européen - il était extrêmement pro-européen - mais parce qu’il estimait que la Grande-Bretagne freinait l’Europe car elle l’empêchait d’être davantage politique. En gros, il disait « bon débarras ». Est-ce qu’il y a quelque chose de positif à tirer de cette sortie de la Grande-Bretagne en Europe ?

Je ne dirai surement pas « bon débarras » parce qu’au fond, un peuple voisin avec qui on a partagé des siècles et des siècles d’Histoire, c’est mieux d’être avec lui que sans lui. Cependant, il y a toujours du positif à tirer et pour moi il y en a sûrement. Pourquoi en sommes-nous là ? Parce que depuis 40 ans la question européenne est la confrontation entre deux visions. La première était celle de la Grande-Bretagne, on est là seulement pour y faire du commerce, la seule chose qui compte est que l’on puisse faire traverser les frontières aux capitaux et aux marchandises. Pour eux, l’Europe n’est qu’un espace où l’on peut gagner de l’argent tout le reste ne lui appartient pas. La famille d’esprit à laquelle j’appartiens dit « non ». L’Europe est avant tout une union politique.

Vous n’avez pas la même vision que les Anglais ?

C’est exactement ce que l’on a constaté au travers du temps. L’économie compte, les échanges aussi mais l’essentiel est que les nations européennes soient capables d’entrer dans une entente profonde et de long terme pour répondre aux grandes questions du monde. Lorsque vous regardez la Chine, les Etats-Unis, les autres continents de la planète, quand vous imaginez les défis lancés par l’intégrisme musulman au Moyen-Orient, quand vous voyez les questions de la paix et de la guerre, de la défense, de la sécurité extérieure et intérieure, alors vous vous dites qu’il n’y a qu’une voie possible qui permette d’affronter tout cela : l’Europe. L'Europe n’est pas seulement nécessaire, elle est vitale.

Peut-elle se poursuivre sans la Grande-Bretagne ?

Elle va se poursuivre sans la Grande-Bretagne qui a fait son choix.

Attention, certes elle a fait son choix mais elle n’en tire pas vraiment les conséquences aujourd’hui. La Grande-Bretagne ne fait rien, on a un sentiment d’un entre deux, que faut-il faire ?

Vous signalez une chose très importante qui mérite que l’on s’y arrête. Je ne crois pas que cette réflexion soit utilisée comme elle devrait l’être. A tous ceux qui disent : « il faut suivre l’exemple de la Grande-Bretagne, il faut que nous aussi nous sortions », je trouve que cela est suicidaire. Posons simplement une question, où sont les leaders du Brexit ? Où sont-ils puisque c’est tellement formidable et une bonne nouvelle ? Selon eux, on allait pouvoir distribuer des millions de livres à tout le monde, mais où sont-ils aujourd’hui ? Pourquoi est-ce que monsieur Boris Johnson, l’ancien maire de Londres, qui a fait campagne pour le Brexit, pourquoi a-t-il annoncé que finalement il ne voulait pas prendre cette responsabilité ? Pourquoi est-ce qu’il n’y a aucun des responsables de la campagne pro-Brexit qui est en situation de prendre la suite ?

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ils découvrent qu’ils ont entrainé leurs concitoyens dans une épreuve telle qu’elle va entrainer pour les Anglais beaucoup de sacrifices.

Cela doit servir de leçon à ceux qui, en France, souhaitent la sortie de l’Union européenne ?

Je ne donne pas de leçons mais je dis que là nous avons une épreuve à surmonter. De plus, il y a quelques mois encore on a connu cela en méditerranée, avec monsieur Tsipras qui a entrainé son peuple à un référendum, un dimanche d’été pour dire : "on refuse les conditions de l’Europe". Puis qu’a-t-il fait le jeudi suivant ? Il a pris son stylo et a signé tout ce qu’on lui avait demandé de signer. On voit bien que dans la démagogie, dans les moments électoraux lorsqu’il s’agit d’entrainer les passions, de montrer du doigt, de désigner des coupables, à ce moment-là on trouve beaucoup de prétendants. Cependant, lorsqu’il s’agit de faire le contraire, de construire, de répondre aux vraies questions qui se posent alors ils ne sont plus là.

N’est-ce pas ce que l’on a fait en 2005, lorsque les Français ont voté « non » à la Constitution européenne et qu’ensuite le traité de Lisbonne en a repris l’essentiel ? N’a-t-on pas commis cette sorte de pêché originel de refuser la voix du peuple ?

Ceci est une vérité pure et simple. Si vous vous souvenez, tout cela s’est joué en 2007 lors de la campagne présidentielle dont j’étais candidat. J’avais une controverse avec Nicolas Sarkozy. Il disait « nous allons faire un traité ». D’ailleurs il déclare à peu près la même chose aujourd’hui avec une crédibilité limitée parce qu’il affirme que « d’ici au mois de décembre, on va faire un traité » ce qui à 27 est une vue de l’esprit, c’est le moins que l’on puisse dire !

Est-ce impossible ?

Dans ce délai et avec les problèmes qui se posent, évidemment ! Puisque les Français s’étaient prononcés par référendum, moi, ce que j’avais proposé pendant la campagne, c’était d’avoir un autre référendum dans lequel on écrirait non plus la Constitution - elle avait été écartée - mais un texte bref, court, une sorte de mandat donné par le peuple français à leurs dirigeants pour dire « voilà dans quel sens nous voulons aller ». Le nouveau Président de la République élu aurait dit aux Français « voilà, je vous propose que nous adoptions 5, 6 ou 7 grandes lignes de conduite et je vous dis lesquelles ».

Mais c’est au fond ce que vous proposez à nouveau aujourd’hui, puisque vous dites qu’il faut écrire un texte et le soumettre aux Français !

Apolline de Malherbe, je ne change pas d’avis souvent ! L’idée d’un référendum de sortie est une idée tellement dangereuse, bouleversante pour ce que doit être l’avenir d’un grand peuple européen que je suis absolument persuadé qu’il serait une faute de pousser à une solution comme celle-là.

Serait-ce trop radical ? Trop excessif ?

La France sans l’Europe est abandonnée à tous les vents mauvais de l’histoire et des rapports de force.

Le nationalisme, est-ce la guerre ?

Je fais attention, je n’ai pas parlé de nationalisme. Je pense que c’est un risque, un danger. L’idée qu’il faut poser tous les problèmes en disant « c’est nous qui devons passer en premier et tous les autres doivent passer derrière nous » est mortelle.

En même temps, il faut la changer l’Europe ! On voit bien qu’elle ne fonctionne pas, qu’elle n’est plus aimée telle qu’elle est par les peuples européens, y compris en France, par les hommes politiques qui depuis si longtemps disent « c’est la faute à Bruxelles » quand quelque chose ne marche pas ici. Donc le texte que vous proposeriez, transformerait-il l’Europe ? Qu’y aurait-il dedans ?

Tous seuls, nous ne pouvons pas peser sur les affaires du monde ! La mondialisation étant ce qu’elle est, nous dépendons de tout ce qui se passe ailleurs sur la planète. Pour peser sur ce qui se passe ailleurs sur la planète, il faut se rassembler et se regrouper. C’est le fond de l’affaire : il est politique au sens le plus noble du terme. Que va-t-on faire comme choix pour nos enfants pour leur offrir les meilleures chances, la plus grande fierté et la volonté d’être des bâtisseurs du monde ?

Dans ce texte que vous voudriez proposer et vous-même porter à la présidentielle, qu’y mettriez-vous dedans ?

Premièrement, l’Europe n’a pas pour vocation d’être seulement un marché, l’Europe a pour vocation de défendre les intérêts des nations qui la forment en face des très grandes puissances continentales qui se partagent le monde. Deuxièmement, le rôle de l’Europe n’est pas d’effacer les nations, elle est de les défendre, de leur permettre d’avoir un avenir, autrement elles ne l’auraient pas. Troisièmement, l’Europe a un projet de société, de civilisation. Ce projet est que nous n’acceptons pas que ce soit uniquement les puissances financières qui gouvernent la planète. Nous, Européens, avons d’autres « valeurs », d’autres centres d’intérêt, de préoccupations, qui sont culturelles, une certaine idée de la paix dans le monde…

Tout cela n’est pas très concret.

C’est extrêmement concret.

Mais ce sont des principes.

Mais ce sont ces principes qui sont niés par les gens qui veulent faire de l’Europe uniquement un marché ! Vous voyez bien à quel point il y a une confrontation des deux visions ! Dernier point : il faut changer l’Europe profondément sur le point le plus choquant pour les gens, qui est qu’ils n’y comprennent rien.

N’est-ce pas votre faute à vous, à tous les hommes politiques de ne pas avoir su l’expliquer ?

Non, sûrement pas ! Si vous reprenez les quinze dernières années de mon engagement politique à la tête de cette famille, il ne s’est pas passé une campagne européenne sans que j’en fasse le point principal. Pourquoi ? Parce que nous avons des institutions uniquement faites pour les initiés, pour ceux qui ont fait de longues études, qui sont engagés dans les débats européens. Si à vous qui êtes une journaliste de tout premier plan, je demande de quoi on débat aujourd’hui en Europe, vous aurez du mal à me répondre parce que ni vous, ni moi en vérité, n’en savons rien.

Je n’en vois que le sommet de l’iceberg.

Alors imaginez nos concitoyens ! Ce qu’ils voient de l’Europe, c’est uniquement une machine à faire des règles techniques - ce qu’on appelle des normes - pour que l’on puisse faire des échanges. 

Est-ce que cela veut dire tout simplement que l’Europe doit arrêter de se mêler de ces questions de normes et se concentrer uniquement sur ce que vous disiez au début, des questions de défense, de principes, de valeurs ?

Arrêter est peut-être excessif mais moi je propose que l’on sépare l’autorité de normalisation, celle qui dit « voilà ce que les phares de voiture doivent être, voilà les exigences sanitaires que l’on a pour le commerce de la viande… ». Cette autorité chargée de faire des normes ne doit plus être à Bruxelles, elle doit être ailleurs ! 

On a quand même le sentiment que Bruxelles nous a beaucoup cassé les pieds.

Oui, mais parce que ceux qui ont imposé leur vision à Bruxelles - les autorités de Grande-Bretagne sont allées dans ce sens - ont spécialisé l’Europe dans le sujet du marché et des échanges ! 

Finalement, les Anglais ont une grande responsabilité dans justement ce qu’ils dénoncent.

Ils ont une grande responsabilité et les autorités françaises ont une grande responsabilité de faiblesse en face de ce qu’a été l’exigence britannique. Au fond, cette réorganisation, cette réorientation, cette direction nouvelle dont nous avons besoin pour l’Europe est extrêmement précise. Il ne peut pas y avoir aujourd’hui, au XXIème siècle, dans un pays comme le nôtre, d’autorité qui ne soit soumise à une démocratie, c’est-à-dire au moins à la connaissance des citoyens.

Est-ce que cela veut dire que la Commission européenne - qui donne souvent le sentiment d’être un petit club fermé et assez technocrate - telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, doit changer ?

Oui ! La Commission à l’origine - dans l’idée de ceux qui ont pensé le mécanisme - était un endroit où des gens extrêmement compétents, spécialisés, ayant uniquement comme préoccupation l’intérêt général des Européens, avaient une autorité et dialoguaient avec d’abord les gouvernants et après le Parlement européen. Aujourd’hui, ce n’est plus cela : la Commission européenne est très souvent un lot de consolation pour des responsables politiques qui n’ont pas réussi dans leur pays et que l’on case là !

Cela a été le cas en gros de Pierre Moscovici qui a été sorti de Bercy par le Président de la République - ce qui voulait bien dire que le Président de la République ne voulait plus de lui comme ministre - mais en revanche il voulait bien de lui en tant que commissaire européen ! 

Il n’est pas le premier.

Comment fait-on pour y mettre fin ?

Il faut que les chefs d’État et de gouvernement changent de vision. Et puis, quand on pense que la Commission est organisée à 27 membres avec des gens dont la légitimité est peu affirmée dans leur pays… Il y a un très grand nombre de gens qui ne connaissent même pas le nom du commissaire français ! C’est le cas pour Pierre Moscovici et c’était le cas avant ! Je pense que l’on a beaucoup reculé dans l’idée même que l’on peut se faire de la Commission européenne.

Qu’est-ce que vous pensez de l’état d’esprit des Français aujourd’hui vis-à-vis de l’Europe ? Pensez-vous que vous pouvez continuer à être un homme politique de premier plan et un Européen convaincu quand on sent les Français tentés de tourner le dos à l’Europe, de la rejeter ?

Cet état d’esprit des Français vient de l’incapacité des responsables politiques. 

Vous nous dites qu’en gros, c’est une responsabilité chez nous.

Oui, mais je vais même aller plus loin ! Tous les problèmes que nous constatons aujourd’hui viennent de chez nous ! On dit que l’Europe est responsable de tout, mais c’est exactement le contraire ! Les problèmes d’éducation si graves dans notre pays, l’Europe n’y est pour rien ! Les problèmes de code du travail, l’Europe n’y est pour rien ! Les problèmes de sécurité sociale, l’Europe n’y est pour rien ! Les difficultés françaises en face du chômage, l’Europe n’y est pour rien !

Regardons la poutre qui est dans notre oeil plutôt que la paille qui est à Bruxelles.

Considérons que notre responsabilité doit s’exercer à l’égard des difficultés que nous avons créées ou laissées se créer nous-mêmes dans notre propre pays. C’est chez nous qu’est la source de nos difficultés ! Passer son temps à la rejeter sur l’Europe - d’abord c’est évidemment une lâcheté - mais c’est aller dans le sens contraire de ce dont nous avons besoin pour l’avenir !

On sent que le Brexit n’a en rien modéré votre passion pour l’Europe !


Deuxième partie :

Bonsoir Nathalie Schuck. On poursuit sur les questions européennes, justement sur la pression qui a pesé notamment sur le peuple anglais. 

Absolument, bonsoir François Bayrou, je voulais parler avec vous effectivement des questions d’intégration, d’immigration, de frontières. Pour commencer, parlons aussi de la question des racines chrétiennes de l’Europe, c’est un débat qui agite régulièrement, y compris la classe politique française. On l’a vu ces derniers jours, il y a les oraux du rattrapage du bac qui tombent le jour de la fin du Ramadan et certains demandent le report. Hier, une déclaration est passée un petit peu inaperçue, pourtant importante, c’est le Pape François qui était à Munich et qui a parlé pour la première fois des racines chrétiennes de l’Europe. C'était une expression qu’il n’utilisait pas jusqu’à présent, il était très prudent. Je sais que vous êtes très réservé sur cette expression aussi, est-ce que vous avez, comme l’autre François, changé d’avis ?

Éclairons ceux qui nous écoutent. Je suis croyant et même pratiquant. Je n’ai absolument aucune réticence, bien au contraire à l’égard de la foi et de l’idéal que cette foi porte. C’est justement parce que je suis croyant et pratiquant que je n’ai pas envie que l’on mélange la politique et la religion ou le droit et la religion. Bien sûr que l’Europe a des racines chrétiennes - il ne faut rien connaître de l’histoire sinon - au moins dans l’affrontement des chrétiens avec les guerres de religions qui ont été extrêmement violentes, dans les affrontements entre l’Empereur et le Pape qui ont fait des siècles de guerres et qui étaient impossible à réconcilier et enfin dans les tentatives de l’Église pour prendre politiquement le contrôle des États. Bien sûr qu’il y a des racines chrétiennes - avec des lumières et des ombres - mais ces racines sont philosophiquement très importantes. Simplement, j'ajoute deux observations. La première, ce ne sont pas les seules racines de l’Europe, il y a eu moins une racine aussi importante que les racines chrétiennes, c’est Rome. Le droit romain, la vision que l'on a de l'organisation de l'Etat vient de Rome.

Et puis, on a des racines grecques avec la philosophie, on a des racines juives parce que la Bible et l’Ancien Testament ont joué un rôle important, il suffit de regarder les statues et le portail des cathédrales pour en avoir une idée. Et puis, il y a des racines dans ce que l'on appelle les Lumières, c’est à dire ceux qui se sont battus, qui sont allés jusqu’au bout de tous les combats, de tous les affrontements et de tous les risques pour que précisément l’Église n’ait pas le contrôle des esprits. Vouloir effacer et simplifier tout cela simplement pour dire il n’y a que les racines chrétiennes est à mon avis une faute historique. On voit bien que cette entreprise-là n’est pas commandée par une vision de l’histoire mais par une volonté de dire : "ici, cette terre-là n’est pas à vous" dirait-on à tous les autres qui ne sont pas chrétiens. 

Après 2005, après l’échec de la Constitution européenne, après le référendum où les français ont voté "Non", Nicolas Sarkozy au moment de négocier le traité de Lisbonne avait regretté de ne pas pouvoir inclure la question des racines chrétiennes. Considérez-vous que s'il y avait un nouveau traité, pour la défense de la laïcité, pour reconnaître les différentes racines de l’Union Européenne, il ne faudrait pas inscrire ce terme ? 

Moi, je demanderai que l’on fasse attention. Je vais vous dire ce qu’est la civilisation européenne et c’est à peu près le contraire de ce que nous évoquons là. La civilisation européenne est la reconnaissance de la liberté de penser et de croire des choses différentes. Si j’avais la responsabilité de la diplomatie française, je donnerais une indication à l’égard de tous les Etats que vous rencontrez : "acceptez que les gens croient des choses différentes". Vous savez qu’il y a des dizaines d’Etats aujourd’hui dans lesquels la loi, sous peine des plus grandes punitions, interdit que l’on change de religion par exemple. Or l’Europe c’est précisément l’endroit où l’on peut croire, ne pas croire et ses vraies racines sont celles-là. C’est ce mélange de racines qui nous donne la liberté de penser, y compris pour les croyants dont je fais partie.

La liberté de penser, vous me direz si vous considérez qu’elle s’applique aujourd’hui à la Turquie ? Les pro Brexit en Grande-Bretagne ont beaucoup agité cet épouvantail de la possibilité d’entrée d’Ankara dans l’Union Européenne. Or 6 jours après le référendum britannique, l’Union Européenne a ouvert un nouveau chapitre d’adhésion à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Vous qui êtes contre l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, demandez-vous que l’Union Européenne ait enfin un peu de courage et qu’elle dise à la Turquie, vous ne rentrerez pas dans l’Europe ?

J’ai toujours été contre l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne. Il faut que l'Europe ait un peu de courage, qu’elle clarifie sa pensée, et qu’elle clarifie les relations avec la Turquie, qui je vous le rappelle commence à dire que ça ne l’intéresse pas. Nous évoquions tout à l’heure Michel Rocard, j’ai eu un débat avec lui au moment où la question de l’entrée de la Turquie s’est posée. Il était pour l’entrée de la Turquie, j’étais contre et d’ailleurs c’est drôle que l’on puisse être à la fois pour l’entrée de la Turquie et pour la sortie de la Grande-Bretagne.

Effectivement c’était le paradoxe de Michel Rocard.

Cela prouve qu’il y avait quelques paradoxes dans cette affaire mais pour moi en effet la Turquie appartient - au nom de son histoire, de l’Empire ottoman qui fascine le Président de la République Turque Erdogan - à un autre ensemble historique. Je me suis opposé tout au long de mon engagement politique à ce que l’Europe soit en perpétuelle extension, en perdant sa substance, en perdant le lien entre les gens. 

Dîtes-vous à l’Europe de dire enfin la vérité à la Turquie, c’est à dire : "l’idée n’est pas de vous faire rentrer et il faut arrêter les négociations" ?

Mais ce n’est pas à l’Europe qu’il faut le dire, c’est aux dirigeants français …

Et à Angela Merkel aussi. Les dirigeants français sont ambigus sur cette question-là ?

Bien sûr, depuis très longtemps les dirigeants français font semblant d’être pour, je ne sais pas très bien s'ils le sont ou pas mais clarifions ce point.

Vous demandez clairement à François Hollande de dire aujourd’hui je ne veux pas de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne ?

J’affirme que le devoir d’un responsable français, qui a une idée importante de l’avenir de l’Europe, est de clarifier cette question et de dire non quand il faut dire non.

N’est-il pas otage de Monsieur Erdogan et notamment sur la question des migrants ? Mi-Mars un accord a été conclu avec l’Union Européenne, notamment par Angela Merkel - je ne sais pas si c’est vraiment par le couple franco-allemand ou plutôt par Merkel toute seule - qui prévoit que la Turquie reprendra sur son sol les migrants irréguliers et qu’en contrepartie l’Europe s’engage à accélérer les négociations de l’adhésion. Est-ce que Merkel a eu tort de négocier cet accord ou est-ce qu’elle a été pragmatique parce qu’il n’y avait pas d’autres solutions ?

A cette question, je réponds : "oui Angela Merkel a eu tort". Pourquoi ? Parce que les deux grandes décisions qui ont entrainé cette déstabilisation, c’est à dire l’acceptation de l’entrée de centaines de milliers jusqu’au million de migrants, elle l’a prise toute seule et que la négociation avec monsieur Erdogan elle l’a faite toute seule. Et ceci est un manquement au fond à la règle non écrite qui veut que les grandes décisions on les prépare ensemble et on les prend ensemble.

Est-ce que c’est la faute de Merkel ou est-ce que le couple franco-allemand est trop faible aujourd’hui ?

Non, ce n’est pas le couple franco-allemand qui est faible, c’est la France qui est faible dans le couple franco-allemand. C’est parce que la France est faible qu’Angela Merkel a pu sortir de cette discipline ou de cette règle non écrite en pensant que ce que les gouvernants français diraient n’avait en fait aucune importance. D’ailleurs une des raisons pour lesquelles Angela Merkel est aujourd’hui gênée par le vote britannique, c’est parce qu’avant elle jouait entre les deux. Elle était puissante et elle jouait tantôt avec les britanniques, tantôt avec les français. Aujourd’hui, on sent bien qu’elle ne peut plus être dans ce jeu de bascule et c‘est une bonne nouvelle à une condition : que la France redevienne la France, que ses dirigeants redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être, et que l'on ait une parole claire. Vous savez ce qui me manque le plus chez François Hollande, c’est de savoir ce qu’il pense sur l’Europe. Cela fait des mois, des années, je ne dis pas qu’il ne fait rien parce que probablement avec la diplomatie française il fait des choses, mais les français ne savent rien de ce qu’il pense, de ce qu’il dit, de ce qu’il défend. Je pense que cela a été une faute considérable dans les quatre ans et quelques qu’il vient de passer à l’Élysée, cela nuit à la France, cela nuit à l’Europe. 

Vous parliez de François Hollande à l’instant mais parlons de Nicolas Sarkozy qui a fait adopté hier le projet de son parti qui prévoit notamment la négociation d’un nouvel accord Schengen II qui serait resserré sur les Etats, qui se mettrait d’accord sur la même politique d’asile, la même politique d’immigration, la même politique de prestations sociales pour les étrangers. Sur le papier vous signez ?

Je suis pour que l’on se mette d’accord sur des règles plus exigeantes mais que l’on dise Schengen est mort, c’est une chose purement et simplement légère que d’affirmer cela.

Il ne dit pas que Schengen est mort.

Non, mais je connais des gens qui disent cela. 

Il dit : "on suspend en l’état et en attendant d’avoir un Schengen II, on suspendra Schengen I".

"On suspendra", cela veut dire que la France va remettre des postes frontières à la frontière allemande, on n’a même pas été capable de le faire avec la Belgique.

Elle l’a fait théoriquement pendant la Cop21.

Tout ce ceci est une blague. On leurre les peuples. On leur fait croire comme des marionnettes qu’on va pouvoir agiter des choses. 

Pour vous Schengen n’est pas mort, mais est-ce qu’il ne faut pas un Schengen II comme le propose les Républicains ? Est-ce qu’ils n’ont pas raison ?

Regardez la Grande-Bretagne n’est pas dans Schengen, regardez ce qu’il se passe à Calais. La difficulté que nous avons ce n’est pas Schengen, c’est que nous sommes incapables de traiter les questions posées par les réfugiés à Calais. C’est notre propre insuffisance qu’à chaque instant on peut pointer sur chacun des problèmes qui se posent. 

 

 

Je reçois la lettre d'information du Mouvement Démocrate

Engagez-vous, soyez volontaires

A nos côtés, vous serez un acteur de nos combats pour les Français, pour la France et pour l'Europe.

Chaque engagement compte !

Votre adhésion / votre don

Valeur :

Coût réel :

20 €

6,80 €

50 €

17 €

100 €

34 €

Autres montants

Qu'est ce que la déclaration fiscale sur les dons ?
Filtrer par