Europe : "Passons d'un modèle technocratique à un modèle collaboratif qui associe les citoyens"

Au micro de Brigitte Boucher sur LCP, Marielle de Sarnez a appelé à la construction d'une Europe politique, recentrée sur les pays qui partagent une monnaie commune et qui associerait davantage les citoyens et les représentants élus.
Brigitte Boucher – Les Britanniques vont être amenés à se prononcer jeudi par référendum sur leur maintien dans l’Union européenne. Vous qui êtes une Européenne convaincue, quel message voulez-vous adresser à la Grande-Bretagne ?
Marielle de Sarnez - D’abord, c’est évidemment aux Britanniques de décider. Tous ceux qui veulent décider de l’extérieur, à mon avis, se trompent complètement. Moi je souhaite vraiment que la Grande Bretagne, que l’Angleterre reste dans l’Union européenne. Je pense que, avec les défis qui sont devant nous, que ce soit sur la question économique, la question sociale, les questions de sécurité, de politique étrangère, d’immigration, de réfugiés, nous devons rester unis. Au fond, l’union fait la force.
Est-ce que vous trouvez que les dirigeants français, les politiques, ne se sont pas assez investis ?
Je souhaite qu’ils restent mais je pense que, de toute façon, il faudra en tirer les conclusions. C’est-à-dire qu’il faut, je le dis depuis longtemps, que l’Europe change. Il faut qu’elle devienne politique, qu’elle ne donne plus le sentiment d’être technocratique, d’être seulement un marché. D’ailleurs, c’était la demande des Britanniques : ils sont entrés dans l’Europe pour faire un grand marché, pour commercer. Il faut que l’on passe à une Europe politique, probablement plus restreinte que celle des vingt-huit. A vingt-huit, vous ne pouvez pas fonctionner, vous ne pouvez pas prendre de décisions sur les points importants.
Comment en est-on arrivé là, finalement ?
Je pense qu’il y a eu une part de lâcheté de la part des dirigeants politiques nationaux qui se sont en permanence servis de l’Europe – comme si c’était autre chose que nous – comme d’un bouc émissaire extrêmement facile et simple de tout ce qui n’allait pas chez eux. Or, l’Europe c’est nous. Il n’y a pas une décision européenne qui se prenne sans être validée par les chefs d’Etat et de gouvernement. Donc il y a eu une forme de lâcheté qui a bien arrangé tout le monde.
Il y a bien une obligation de transcrire dans le droit français, par exemple, les directives européennes ?
Oui mais tout ce qui est directive européenne, en général, a à voir avec le marché, en schématisant un peu. Il faut maintenant que l’on construise une Europe politique, une Europe à moins de vingt-huit. Je pense que ceux qui ont en commun une monnaie unique doivent pouvoir décider d’avancer vers mieux d’Europe. Pas plus d’Europe, mieux d’Europe !
Mais ce serait une Europe à deux vitesses, alors ?
Ecoutez, ce sera déjà une Europe qui aura une vitesse. Aujourd’hui, l’Europe n’avance plus. Si on prend, par exemple, la question des réfugiés, des migrations – qui est très traitée en Grande-Bretagne dans la campagne pour le référendum – on voit bien que l’Europe, les chefs d’Etat et de gouvernement européens – parce que c’est ça l’Europe aussi – ont été dans l’incapacité absolue d’anticiper, d’organiser une politique d’asile qui soit humaine, cohérente et raisonnable. Ils ont été dans l’incapacité politique de le faire, c’est tout cela qu’il faut changer. Cela nécessite une Europe avec du courage politique et de la vision.
Vous dites que ceux qui ont la même monnaie doivent se mettre d’accord. Mais ça ne passe pas par le couple franco-allemand ?
Evidemment. Quand je dis que ceux qui ont en commun une monnaie doivent décider d’avancer ensemble sur un certain nombre de grandes questions comme celles que je viens de citer, cela implique évidemment une initiative franco-allemande. Simplement, j’ai plus que du scepticisme sur la capacité, aujourd’hui, de la France et en particulier du chef de l’Etat, de prendre l’initiative. Je crains que sa crédibilité, sa légitimité ne soit pas au rendez-vous et qu’il faille attendre 2017. Dans tous les cas, je vous le dis, le statu quo n’est pas possible. Il va falloir changer cette Europe, faire en sorte, aussi, que les citoyens prennent toute leur part. Ils se sentent laissés de côté sur les décisions qui sont prises sans eux, ça ne peut plus continuer comme ça.
Vous parlez d’Europe politique. Aujourd’hui on a quand même un Conseil de l’Europe, un Parlement européen, des députés européens. Ca veut dire quoi ?
Il faut un Parlement européen qui s’affirme, qui s’assume, c’est très important. Mais il faut aussi que les parlements nationaux jouent leur rôle. Quand vous avez, par exemple, la France, par la voix de François Hollande, qui dit à la Commission il y a deux ans « Je vous donne le feu vert pour négocier en notre nom un accord avec les Américains » : c’est absolument anormal – c’est une députée européenne qui vous le dis – qu’il n’y ait pas eu un seul débat à l’Assemblée nationale ou au Sénat, qu’il n’y ait pas eu une seule conférence de presse du président de la République pour annoncer qu’il souhaite donner mandat à la Commission, mais aussi pour dire quelles sont les lignes rouges, quels sont les points sensibles de cette négociation. Vous ne pouvez plus continuer comme ça, à gouverner dans un espèce de huis clos du Conseil européen et des chefs d’Etat et de gouvernement qui prennent des décisions à Bruxelles sans que les citoyens et les représentants légitimement élus par le peuple n’y soient associés.
Est-ce qu’on a tous des intérêts communs ? Est-ce qu’on peut avoir les mêmes intérêts ?
A vingt-huit c’est compliqué, c’est une grosse machine. C’est pour ça que je propose d’avancer avec ceux qui ont une monnaie en commun. Quand on a mis en place une monnaie en commun, il aurait fallu construire aussi une économie en commun, mais aussi une harmonisation du droit social, pour ne plus avoir de dumping, pour ne plus avoir de concurrence déloyale entre les pays. Vous voyez bien que, sur des questions très sensibles de défense, de politique étrangère, de migration, de droit d’asile, il faut que l’on avance ensemble. Il faut que l’on prenne des décisions ensemble si nous voulons peser. Je souhaite que l’on retrouve une efficacité européenne, c’est-à-dire que l’Europe apporte un plus. Alors il faut repenser un modèle qui ne soit pas technocratique, qui ne soit pas fondé sur l’égoïsme, le chacun pour soi, mais qui soit un modèle coopératif, collaboratif, dans lequel les Européens décident, sur un certain nombre de questions, d’agir ensemble.
Mais comment éviter que l’Europe soit perçue comme une contrainte ?
En faisant tout ce que je viens de vous dire ! Pour vous donner un exemple, ce qui a été fait avec la Grèce – je le dis depuis le premier jour – c’est-à-dire faire venir le FMI autour de la table pour imposer des conditions draconiennes, uniquement imputables à la Grèce, c’était évidemment une mauvaise idée. Les responsables français y ont pris leur part, ce sont en partie eux qui ont appelé le FMI. Il faut aussi assumer les erreurs qui ont été faites, il faut que l’Europe, par exemple sur le plan économique, soit plutôt une Europe qui apporte quelque chose dans les investissements de l’avenir et qui ne soit pas uniquement punitive, avec une approche comptable. A la Grèce, il faut trouver des perspectives de développement économique ; si vous êtes là juste pour baisser les salaires, ça ne peut pas faire fonctionner une économie sur le long terme.
Vous dites qu’il faudra « mieux » d’Europe après le référendum sur le Brexit…
Oui, même si je souhaite que la Grande-Bretagne reste dans l’Union européenne.
Même si la Grande-Bretagne reste, il y aura une renégociation, il y a un accord qui a plus ou moins été conclu, notamment sur les aides sociales des étrangers.
Oui, c’est un mauvais accord.
Est-ce que vous ne pensez pas que ça va fragiliser l’Europe et qu’il y aura une sorte de dislocation ?
C’est comme en matière de politique intérieure. Quand vous avez des hommes ou des femmes d’Etat ou de gouvernement qui ont une vision, qui ont une perspective, qui vous dessinent un horizon, à ce moment là vous pouvez vous positionner. La vérité aujourd’hui, c’est que personne ne dessine aucune vision, personne ne dit « il faut que l’on reprenne une page blanche et que l’on refonde l’Europe ». Il va falloir une renaissance européenne. Pas continuer de faire comme il y a trente ou quarante ans mais faire renaître cette idée européenne à l’aune du siècle dans lequel nous sommes, ce serait assez enthousiasmant si on y arrive. Il faut faire les choses bien et de façon juste et je crois alors les peuples retrouveront le chemin de cet idéal.